Faute d’un salarié constatée par vidéosurveillance : mode de preuve recevable ?

Faute d’un salarié constatée par vidéosurveillance : mode de preuve recevable ? 

Beaucoup d’articles ont été publiés sur les conditions de surveillance d’un salarié à l’extérieur de son entreprise par le biais d’une agence de détective privé. Nombre de juristes et de magistrats se sont penchés sur la difficile question de la légitimité d’une telle intervention, nécessairement constitutive d’une violation de la vie privée, devant être justifiée en raison de la sauvegarde des intérêts essentiels de l’entreprise et pour lesquels chaque acte d’enquête diligenté par l’agent de recherches privées sera légal et respectera une loyauté absolue dans l’administration de la preuve. Si une faute peut être prouvée par un enquêteur privé à l’extérieur de l’enceinte professionnelle, qu’en est-il lorsque une faute est constatée par vidéo au sein de l’entreprise ? Quelle est dès lors la position des juges concernant la conciliation du respect des libertés individuelles opposés aux enjeux stratégiques et économiques d’une structure ? Élément de réponse avec Brigitte Pereira, professeur de droit à l’EM Normandie.

La protection de la vie privée du salarié est un droit reconnu au sein de l’entreprise. L’article 9 du Code civil dispose notamment que chacun a droit au respect de sa vie privée et celle-ci s’entend y compris sur son lieu de travail et pendant son temps de travail. Ainsi, les juges ont consacré la notion de vie personnelle du salarié, terme plus large que celui de vie privée. Il s’agit pour l’entreprise de veiller à ne pas s’immiscer dans la vie personnelle du salarié, ni de relever un fait de celle-ci pour lui reprocher une faute.

Certes, la relation entre l’employeur et le salarié obéit au principe de loyauté. Il peut alors exister des restrictions si ces dernières sont légitimes et proportionnées (article L. 1121-1 du Code du travail). Par ailleurs, le salarié est lié par un lien de subordination à l’égard de son employeur. Dès lors, le pouvoir de surveillance de l’employeur est légitime puisqu’il est conduit à contrôler le travail réalisé, à l’évaluer et à donner des directives sur celui à effectuer. Mais ce pouvoir comporte des limites tenant à la transparence de la mesure de surveillance, à sa légitimité et à sa proportionnalité par rapport au but poursuivi. Tout le problème se pose concernant un système de vidéosurveillance, objet de contrôle incessant dont la proportionnalité pourrait être sujette à caution.

La transparence de la mesure de vidéosurveillance pour contrôler les salariés

Depuis le décret du 1er août 2018 complétant la loi du 20 juin 2018 relative à la protection des données personnelles, la transparence de la mesure de vidéosurveillance fait l’objet d’une consécration développée. Cette évolution est comparable à celle du Luxembourg qui au même moment légifère par la loi du 1er août 2018 portant organisation de la Commission nationale pour la protection des données et du régime général sur la protection des données, faisant suite au RGPD. Les autorisations préalables à l’installation d’un système de vidéoprotection ne sont plus nécessaires conformément aux principes du RGPD. Néanmoins, les responsables de traitement sont conduits à traiter des données à caractère personnel découlant de la vidéosurveillance sur un registre des traitements de données à caractère personnel.

De plus, l’employeur qui envisage de mettre en place un système de vidéosurveillance, doit se conformer à l’obligation préalable de consultation des représentants du personnel (voir notamment l’article L. 1222-4 du Code du travail français et l’article L. 261-1 du Code du travail du Luxembourg). De même, le salarié doit également être informé à titre individuel. Cette information doit comprendre une descrip-tion détaillée de la finalité du traitement envisagé, des modalités de mise en oeuvre du système de surveillance, et la durée ou les critères de la conservation des données. L’employeur doit encore respecter son engagement à ne pas utiliser les données collectées pour une autre finalité que celle prévue dans l’information préalable.

Les juges français ont ainsi estimé que si la surveillance est effectuée sur le lieu du travail à l’insu des salariés, les enregistrements vidéo effectués constituent un mode de preuve irrégulier (1). Toutefois, il faut être prudent car cela dépend de la juridiction saisie. Cette solution a été retenue en matière prud’homale et par la chambre sociale de la Cour de cassation. Dans le domaine répressif, les juges ont admis un mode de preuve par la vidéosurveillance alors même que le salarié n’a pas été informé : ainsi, la chambre criminelle de la Cour de cassation a décidé quant à elle que ces enregistrements peuvent être retenus comme preuve du vol dans la caisse de l’entreprise par un salarié (2). Cependant, la jurisprudence est évolutive ce qui comporte directement des incidences managériales en matière de vidéosurveillance. En effet, l’obligation d’informer individuellement les salariés ne concerne pas les systèmes de vidéoprotection intégrés dans des locaux où les salariés ne travaillent pas, tels qu’un entrepôt de marchandises.

La légitimité de ce dispositif de contrôle

La mise en place de caméras de surveillance doit viser un but légitime tel que celui consistant à sécuriser les accès d’un bâtiment ; à assurer la sécurité du personnel ou des clients ; à protéger les biens ; à organiser et encadrer une évacuation rapide des personnes en cas d’incident. La finalité poursuivie doit être précisée au préalable. Toutefois, il a déjà été décidé que les enregistrements effectués par des caméras de surveillance pouvaient être utilisés au sein d’une brasserie comme mode de preuve de la faute d’un salarié, même si la finalité première du dispositif n’était pas de contrôler les salariés, mais de protéger les biens (3).

De même, dans une affaire très récente de novembre 2018, il a été décidé qu’un salarié représentant du personnel qui distribuait des tracts sans autorisation dénonçant « la connivence entre certains syndicats », dans la perspective des prochaines élections, pouvait être sanctionné sur le moyen de preuve tiré d’un enregistrement vidéo. Dans cette affaire, les juges ont mis en avant que le dispositif de surveillance n’était ni clandestin, ni déloyal et que même si cette vidéosurveillance ne visait à l’origine que la protection des biens et des personnes, la preuve de la faute du salarié pouvait être régulièrement produite pour le sanctionner. On voit bien que la légitimité de la mesure de surveillance doit exister en amont, mais que l’utilisation des enregistrements peut avoir une finalité distincte, soit disciplinaire (4).

La proportionnalité du système de vidéosurveillance en entreprise

La mise en place de la vidéosurveillance consiste à consacrer le principe de minimisation tel que mis en évidence par le RGPD. En effet, il ne doit être filmé que ce qui apparaît strictement nécessaire par rapport au but poursuivi. Ainsi, les caméras destinées à surveiller un lieu d’accès, soit l’entrée, la sortie, le hall, ne peuvent disposer que d’un champ de vision limité à la surface strictement nécessaire pour visualiser les personnes. S’agissant de la surveillance continue, les salariés disposent du droit de ne pas être soumis à une surveillance permanente : celle-ci serait attentatoire à leurs libertés individuelles, mais également source de stress dans l’accomplissement de leur mission.

Dès lors, on comprend qu’un restaurateur ne peut surveiller par caméras en permanence les salariés en cuisine : une telle mesure ne comporte aucune proportionnalité et nuit directement à la santé des salariés soumis à des pressions continues. Par ailleurs, la vidéosurveillance ne peut servir à mesurer la performance des salariés au travail. La proportionnalité de la mise en place de la vidéosurveillance existe par exemple lorsqu’il s’agit de protéger les locaux de stockage de marchandises, les réserves ou entrepôts sauf si des salariés sont appelés à y travailler ; il peut encore s’agir d’un parking, de zones de livraisons, d’une salle informatique, de couloirs. En réalité, la surveillance ne sera admise que si la vie privée du salarié se trouve préservée, la mesure de proportionnalité devant alors être adéquate par rapport au secteur d’activité (grande distribution, banque ; casinos…). La question se pose alors de savoir si la preuve d’une faute commise par le salarié peut être utilisée pour justifier une rupture de son contrat de travail.

Preuve vidéo d’un vol commis par le salarié

Les enregistrements vidéo produits afin de prouver le vol commis par un salarié sont recevables si le dispositif de surveillance n’a pas été installé dans le but de surveiller les salariés, mais pour des raisons de sécurité (5). Dans une affaire, un salarié a été repéré sur les images de la vidéosurveillance d’un hôtel. Ce salarié, chef de rang, a volé un casier de 9 bouteilles provenant de la cave à vin (8 610 euros). Il est licencié pour faute grave. La Cour d’appel de Paris donne droit à l’employeur parce que la mise en place de cette vidéosurveillance ne visait pas le contrôle des salariés et n’avait pas à être soumise à l’avis ou à l’information des représentants du personnel.

Cette vidéosurveillance visait la sécurité de la clientèle. Dès lors, la vidéosurveillance et les enregistrements subséquents sont licites. Autrement dit, la preuve du vol par les images enregistrées a été déclarée recevable. Cependant, dans une plus récente affaire de 2018, il a été décidé le contraire. Il s’agissait d’une salariée qui avait été licenciée pour faute grave sur la base d’éléments recueillis à l’aide d’un système de vidéosurveillance. L’employeur ayant porté plainte, la salariée a reconnu les faits de vols devant les services de gendarmerie. En dépit des aveux de la salariée, il a été décidé que la preuve par vidéosurveillance n’était pas admissible parce que la salariée n’a pas été informée de son existence au préalable. Il en est ressorti que les aveux obtenus devant les officiers de police judiciaire étaient inopérants puisqu’ils découlaient de la visualisation d’un enregistrement-vidéo illicite (6).

(1) Cassation sociale 10 janvier 2012 n°10-23.482
(2) Cassation criminelle 6 avril 1994 n°93-82.717 ; sur l’admissibilité de la preuve, Cassation criminelle, 31 mai 2005, n° 04-85469
(3) Cassation sociale 2 février 2011, n° 10-14.263
(4) Cassation sociale du 7 novembre 2018, n° 16-26.126
(5) Cour d’Appel Paris, 6 septembre 2016, n° 13/08843
(6) Cassation sociale, 20 septembre 2018, n° 16-26482

 

Complément d’informations

La vidéoprotection au travail – Site de la CNIL

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